Alors que l’art du portrait connaît un renouveau prodigieux à la fin du XIXe siècle, Eugène Burnand s’essaie à ce genre à l’occasion de ses travaux pour l’édition. À la suite de sa lecture de l’Essai sur la physiognomonie[1] du pasteur zurichois Johann Caspar Lavater (1741-1801), le jeune peintre se passionne pour les différentes physionomies de l’être humain. Dès lors, il tente de capturer dans ses portraits les traits qui traduisent le mieux l’identité de ses modèles. Plusieurs projets décrivant visuellement les différents types sociaux, professionnels ou ethniques traversent l’œuvre de Burnand[2]. Mais ce sont les deux séries que le peintre réalise durant la Première Guerre mondiale qui marqueront son œuvre.
La série des « Types vaudois (Face et Profils de chez nous) » et celle des « Alliés dans la Guerre des nations[3] » répertorient des individus que le peintre choisit pour leurs traits marquants. Lorsque la Guerre éclate, Burnand est en Suisse avec sa famille. Jusqu’en 1917, il dessine trente et un portraits de femmes et d’hommes vaudois dont La Jeune fille, simple, tranquille et rêveuse comme le tempérament vaudois. Durant ces mêmes années, le peintre s’engage dans une entreprise analogue, en France cette fois-ci. Après avoir dessiné des soldats qu’il rencontre dans les rues de Paris, Eugène Burnand obtient un laisser-passer pour les casernes de Montpellier puis Marseille. Chaque rencontre entre le peintre et ses modèles est unique et suscite l’anecdote. Louis Gillet (1876-1943), historien de l’art, raconte à propos du Soldat noir américain :
Les Américains lui offrirent de faire son choix parmi les hommes d’un bataillon ; le peintre, pour réprimer son envie de rire, passa la revue d’un air sévère ; les pauvres diables, qui n’étaient peut-être pas absolument sans reproche, tremblaient de peur devant cette inspection insolite, que ce ne fût un détective chargé de rechercher un coupable. La scène dut être divertissante[4].
Au total, l’artiste dessine plus de cent portraits au crayon et pastel. Huitante sont exposés au Musée du Luxembourg du 3 au 8 juillet 1919. À la suite de l’exposition, qui rencontre un franc succès, le peintre est promu au grade d’Officier de la Légion d’honneur pour « service rendu à l’art ». Le peintre explique ainsi son projet :
Il s’agissait pour moi d’étudier le combattant moderne au p[oin]t de vue psychologique. Il s’est ajouté à ce programme du début des intentions plus amples […]. J’ai adopté d’emblée un effet unique pour la mise en valeur des têtes représentées. Celles-ci doivent se différencier les unes des autres non par la diversité des aspects décoratifs mais par leurs particularités typiques ou ethnographiques[5] ».
Burnand profite de la mobilisation des nations européennes et coloniales pour rapprocher des soldats de types et d’origines différentes et tenter de saisir dans leurs visages leur humanité commune. Jamais le peintre naturaliste n’a été autant déterminé à dépasser la simple reproduction photographique.
[1] LAVATER, Johann Caspar, Essai sur la physiognomonie : destiné à faire connaître l’homme et à le faire aimer, La Haye : Impr. J. Van Karnebeek, 1781-1803.
[2] À titre d’exemple : « Physionomies parisiennes – Bouquinistes et Bouquineurs » pour Illustration en 1878, « l’Exposition universelle et ses publics de France et d’ailleurs » la même année, « Types et physionomies modernes » en 1886 etc.
[3] Un exemplaire de chacun des ouvrages ainsi que six originaux sont actuellement exposés à l’Espace Graffenried à Aigle à l’occasion de l’exposition Eugène Burnand : à travers champs.
[4] BURNAND, Robert, Les alliés dans la guerre des nations : 100 types militaires d’après des pastels d’Eugène Burnand, Paris : Crété, 1922, p. 13.
[5] KAENEL, Philippe, Eugène Burnand : la passion de peindre, Lausanne : Favre, 2017, p. 64.
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