Si Eugène Burnand reste émerveillé par les maîtres installés au Louvre, il admire également ses contemporains qu’il prend volontiers en exemple. À la sortie d’une exposition de Jean-François Millet (1814-1875), il écrit : « Je viens de voir l’exposition des dessins de Millet ; grand ciel que de beauté ! Je suis encore tout ému de cette poésie de la campagne que Millet, comme aucun autre, a su renfermer dans les étroites limites du tableau[1] […] ». L’ensemble de l’œuvre de Burnand semble marqué par l’école de Barbizon dont Millet fait partie. Comme eux, l’artiste suisse s’évertue à donner une autre image de la paysannerie en revalorisant la nature et le travail rural. Pour ce faire, il privilégie les grands formats traditionnellement réservés à la peinture d’histoire et humanise ses paysages.
L’œuvre Les Glaneuses témoigne particulièrement de la fascination de Burnand pour Jean-François Millet. En effet, cette toile de plus de deux mètres, exécutée d’après nature à Seppey durant l’été 1880, semble s’inspirer directement de l’œuvre homonyme et de L’Angélus que le réaliste français a peint une vingtaine d’années plus tôt. Des Glaneuses, Burnand reprend le sujet, le ramassage après la récolte des épis négligés, tandis qu’il s’inspire de la position des figures et de l’atmosphère silencieuse, voire sacralisante de L’Angélus. Seulement, tandis que Millet insiste sur la pauvreté et les conditions pénibles du travail des glaneuses, Burnand les dépeint belles, rêveuses, opérant dans un vaste champ ensoleillé au milieu des montagnes vaudoises. C’est par cette atmosphère idéale et paisible, plongée dans une lumière vive quelque peu irréaliste que l’artiste suisse exprime la beauté du travail ancestrale de la terre.
En France, l’œuvre est exposée au Salon parisien de 1881. Les Glaneuses font également le tour de la Suisse puisqu’elles sont exposées à Lausanne et Genève durant l’année de leur création, puis à Bâle, Neuchâtel et Vevey entre 1882 et 1883. Cette toile marque le début de la carrière internationale de l’artiste vaudois puisqu’elle est présentée à Anvers en 1885 puis à Stuttgart en 1911 où le Prince de Furstenberg, admiratif, manifeste le désir de l’acquérir. L’affaire n’aboutit pas, et l’œuvre est finalement acquises par la Commune de Moudon en 1976.
[1] BURNAND, René, Jeunesse de peintres : Eugène Burnand et ses amis, Lausanne : Ed. spec, 1949, p. 89.
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